Migration et phénomène migratoire :
réflexions sur une thématique galvaudée, compromise idéologiquement
Jilali Chabih - Professeur de droit -
FSJES - UCAM- Maroc
La thématique de la migration a été
largement galvaudée, compromise même, et souvent, très souvent, utilisée de
manière très idéologique. Elle a toujours constitué, et cela depuis un long
moment déjà, le cheval de Troie des partis populistes, de l’extrême droite, et
de leurs idéologues, véhiculant ainsi, avec véhémence, de la haine, de la xénophobie,
du racisme, de la ségrégation raciale[1].
En réalité, la question de la
migration, et du phénomène migratoire, au sens de mobilité, de déplacement des
humains d’un territoire à l’autre (arrivée ou départ, immigration ou
émigration), ou à l’intérieur du même territoire (comme l’exode rural ou la
migration interne, par exemple) est une constante dans l’histoire de l’humanité[2].
Ce sont là les prémices même de
l’internationalisation, de la mondialisation[3]. Que
ce fût, sémantiquement parlant, en grec, en araméen (en Mésopotamie il y a six mille
ans) en hébreu, en arabe, en latin ou en persan, le fait migratoire a toujours
existé, et il existera toujours[4].
Même sur le plan de la législation sociale
« les lois les plus tyranniques sur les émigrations - disait l’homme politique français
Mirabeau, 2ème moitié du 18e s.- n’ont jamais eu d’autre
effet que de pousser le peuple à émigrer ». Et aujourd’hui encore «la politique
migratoire du néolibéralisme a davantage pour but, disait un expert militaire
haut gradé, de déstabiliser le marché mondial du travail que de freiner l’immigration
»[5].
L’histoire de l’humanité, en effet,
c’est l’histoire de la migration. Elle est partie d’Afrique, il y a 2 millions
d’années, du Tchad, d’Ethiopie, et même du Maroc un peu plus tard, et s’est
étendue à toute la surface de la terre, il y a déjà 200 mille ans, et par conséquent,
elle est aussi vieille, aussi universelle, que l’humanité, elle-même[6].
Elle est aussi vieille que la migration des espèces animales : anguilles,
saumons, éléphants, buffles, abeilles, cigognes, hirondelles[7]…
Elle est aussi vieille que la
migration d’une cellule dans un organisme, d’une substance à l’intérieur d’un
milieu ou d’un élément à l’intérieur d’un ensemble[8]. On
parlera ainsi de la migration des leucocytes (globule blanc du sang), dans le
corps, de l’ovule vers l’utérus, du testicule vers les bourses, d’un caillot
sanguin ou de cellules cancéreuses. On mentionnera également la migration de
l’humus dans le sol ou d’un radical dans un isomère, ou encore des capitaux ou
des données informatiques. Même les continents se déplacent, et ce depuis des
millions d’années, par le jeu de la dérive de ceux-ci, ou ce que l’on appelle
scientifiquement, en géologie, la tectonique des plaques[9].
Le phénomène migratoire,
anthropologiquement parlant, est si nécessaire, si naturel qu’il représente
aujourd’hui 2020, quelque 260 millions de migrants internationaux. Ce chiffre,
qui ne tient pas compte de la migration interne, incarne pour l’être humain -
pour l’être vivant en général - un besoin vital de survie, un besoin de subsistance,
un besoin d’air et de liberté. On ne saurait confiner, à moins d’une pandémie, dans
un espace limité, un être humain, ou un être vivant tout court, qui a toujours
eu la mobilité dans les gènes et le goût de l’itinérance[10].
La migration, en effet, n’a été
remise en cause que dès lors que les humains eux-mêmes sont passés de la
nomadisation (fondée sur la cueillette et la chasse, ou la pêche), à la
sédentarisation, qui n’est pas confinement, et la domestication de plantes et
d’animaux, d’abord en Mésopotamie, il y a plus de 11 mille ans, et puis partout
ailleurs ensuite[11].
La migration n’a été réellement
dénigrée, stigmatisée, que depuis l’appropriation de l’espace, le tracé
arbitraire des frontières, des murs et des barbelés, et la protection farouche des
intérêts économiques de certains peuples, dans certains continents, il y a à
peine 200 ans, mais surtout depuis l’exacerbation de la xénophobe, des désirs
communautaristes et nationalistes de certaines catégories sociales dans certaines
régions, depuis une centaine années[12].
Il y a eu, après une accalmie, un
regain de haine xénophobe, raciale, envers certaines catégories de migrations
et des migrants, depuis une vingtaine d’années, et qui est allé crescendo
depuis 4 ou 5 ans. Depuis que les proportions et ratios des migrants se sont
intensifiés, pour telle ou telle raison, en direction d’une contrée plutôt que
d’une autre[13].
En effet, une typologie claire et
exhaustive des migrations individuelles ou collectives, internes ou externes,
forcées ou volontaires, définitives ou temporaires, clandestines ou autorisées,
peut nous renseigner sur les causes exactes, les causes profondes de celles-ci,
qui sont par ailleurs multiples et variées[14].
On relèvera ainsi des migrations pour
des raisons religieuses, économiques, politiques, climatiques, fiscales ou
intellectuelles.
D’un point de vue religieux, on peut
citer l’Exode des Hébreux conduits hors d’Egypte par Moïse, il y a presque 3300
ans, ou bien les chrétiens fuyant les persécutions des empereurs romains (Néron
par ex.), il y a environ 2000 ans. On peut évoquer également l’Emigration ou
hidjra de Prophète Mahomet avec ses disciples de la Mecque à Yathrib, qui
devint Médine depuis lors, il y a presque 1400 ans, en 622 précisément, qui fut
le point de départ de l’ère musulmane[15].
Et aujourd'hui encore certains fuient
leur propre pays en raison de la persécution ou de l’intolérance religieuse
dans beaucoup de pays fanatiques comme la Thaïlande, l’Iran, l’Irak, la Syrie,
l’Egypte, le Liban, l’Afghanistan…[16]
Parmi les raisons économiques et
sociales de s’expatrier on citera notamment la colonisation, le peuplement et
l’exploitation des richesses des pays conquis, puis ses corolaires : le
dénuement, la pauvreté et la recherche du travail des « autochtones », démunis.
L’émigration en est d’aujourd’hui l’effet boomerang[17].
On citera également l’exode rural (à
l’intérieur), et le dépeuplement des campagnes déshéritées au profit des villes
saturées, et dans le même ordre d’idée, l’exode des cerveaux déçus, des talents
dévalorisés (vers l’extérieur), à la recherche, l’un comme l’autre, du travail,
de l’emploi et de meilleures conditions de vie[18].
Les facteurs politiques, sécuritaires
et géostratégiques comme l’esclavage, la déportation, l’oppression, les guerres
et les conflits armés, sont autant de causes majeures de s’expatrier, de fuir
son pays ou d’en être chassé[19].
Les variables financières et fiscales
comme la pression fiscale ou les incitations fiscales et la grande question des
paradis fiscaux, les investissements (I.D.E.), très rentables, la fuite des
capitaux et l’évasion fiscale ou même le blanchiment d’argent… sont aussi
autant de causes déterminantes d’émigrer, de s’expatrier ou de fuir son pays.
On notera ainsi les cas flagrants des gros capitaux, revenus ou patrimoines
élevés, les riches et très riches malhonnêtes, mais aussi les narcotrafiquants[20].
Les activités humaines génératrices
de gaz à effets de serre (GES), en particulier le CO2 qui représente 74% du
total des émissions (méthane CH4, protoxyde d’azote N2O, ozone O3) n’ont jamais
cessé d’augmenter. Elles se sont même intensifiées. Aussi les conséquences
désastreuses qui en résultent comme le dérèglement climatique, donc le
réchauffement de la planète, la montée des eaux, les cyclones, les inondations,
la désertification, les sécheresses et les famines sont-elles autant de causes
d’émigration et d’émigrer[21].
D’où l’implication, à plus forte
raison pour cette étude sur la migration, de différentes disciplines
scientifiques reconnues y afférentes comme l’archéologie, la génétique, la
paléontologie, la paléoanthropologie, la géologie, l’anthropologie, la
linguistique, la démographie ou l’histoire[22].
Pour ce qui est du Maroc - c’est un
pays comme tant d’autres - à la fois pays de migration, d’émigration et
d’immigration : on se déplace à l’intérieur de ses frontières, libre ou par
nécessité, quoique celle-ci demeure largement prédominante[23].
On le boude et on part, on le quitte
définitivement et on l’abandonne, 10% de marocains vivent aujourd’hui à
l’étranger, dont 20% des diplômés. Ou alors on y revient (pour ses
ressortissants), régulièrement, par plaisir ou pour investir (10% du PIB
marocain), ou les deux à la fois[24].
Ou alors on y vient (pour les étrangers)
aussi par nécessité, ou par plaisir, ou les deux à la fois, pour s’établir et
donner ainsi libre cours à ses désirs : les plages, le soleil, les paysages. En
appréciant, parfois sa générosité, et en ayant conscience, espérons-le, de la pauvreté,
qui n’est que la conséquence d’un type de gestion, d’administration et de
gouvernement qui semble inapproprié[25]
(Jilali Chabih - Pr. de Droit – FSJES – UCAM - Maroc).
[1]-J’ouvre là une parenthèse pour proclamer haut et fort que la liberté
des uns s’arrête là où commence celle des autres. Nous avons le droit de nous
exprimer, certes, c’est notre droit le plus strict ; mais de quel droit pouvons-nous
humilier autrui, l’injurier, l’outrager, ou blasphémer ses croyances ou sa
morale ? Là, ce sont des paroles ou des actes qui tombent nécessairement, dans
tout pays démocratique digne de ce nom, sous le coup de la loi.
[2]-Déplacement, définitif ou provisoire, de population (humaine ou animale),
d’organisme, de cellule, ou d’objet, d’un lieu à un autre.
[3]-En effet, les premiers mouvements inter-régions ou inter-continents
dans l’histoire des relations internationales ce ne sont ni les marchandises,
ni les capitaux, ce sont plutôt les déplacements des humains.
[4]-Etymologiquement migration signifie en latin migratio, en arabe
hidjra.
[5]-Manière de voir n° 75, 2004.
[6]-S’ériger contre ce mouvement naturel, ou essayer de le stopper est
absurde : plus on tente de l’interdire plus il se renforce. C’est dans la
nature de l’espèce.
[7]-Des animaux se déplacent à la recherche de nourriture, d’espace ou
pour se reproduire, les hommes aussi, en quelque sorte.
[8]-Bouger, changer d’endroit, se mouvoir, se déplacer, migrer, émigrer,
immigrer, c’est l’une des principales caractéristiques de toute espèce.
[9]-La tectonique des plaques qui est un modèle théorique, scientifique,
fondé sur la notion du mobilisme ou le concept de la dérive des continents, théorie
proposée en 1912 par l’astronome et climatologue Alfred Wegener, et publiée en
1915, explique la dynamique globale de la lithosphère terrestre. La
multiplicité et l’interaction de ces plaques, majeures (une quinzaine) et
mineures (une cinquantaine), dites tectoniques ou lithosphériques, génèrent des
mouvements relatifs de convergences, de divergences ou de transformations.
[10]-L’homme, en vérité, est né pour bouger, se déplacer, fréquenter, se
lier, respirer de l’air pur et s’exprimer librement, dans les limites de ses
droits.
[11]-On estime aujourd’hui encore en millions le nombre de « nomades » dans
le monde. Ainsi, rien qu’en Europe, les « gens du voyage » représentent-ils
quelque 10 à 12 millions de personnes.
[12]-V., pour de plus amples détails, l’essai de Friedrich Engels d’après
les notes de Karl Marx, L’origine de la famille, de la propriété privée et de
l’Etat, 1891 ; v. également, dans le même ordre d’idées, Karl Max et F.
Engels, L’idéologie allemande, 1845 ; Friedrich Engels, Anti-Dühring,
1878 ; Lewis Henry Morgan, Ancient Society, 1877.
[13]-Depuis que certains flux migratoires ce sont accentués, il y a une
vingtaine d’années, pour des raisons légitimes, particulièrement de l’Afrique
ou de l’Asie, en direction de la France, de l’Italie, du Royaume Uni, de
l’Espagne, de la Grèce ou de l’Allemagne… puis dernièrement du Mexique en
direction des E.U.A.
[14]-L’une des principales raisons est d’ordre humain, c’est dans la nature
des choses : si je ne me plais pas dans tel ou tel endroit, si je ne me
sens pas à l’aise dans tel ou tel pays, je change d’atmosphère. Si je suis
opprimé, ou exploité dans telle ou telle région je la quitte, si c’est possible,
c’est aussi simple que cela - théoriquement tout au moins.
[15]-Ainsi, on voit clairement que les premières causes d’émigration
étaient d’ordre religieux.
[16]-Instituée à l’origine pour sa spiritualité, pour rassembler, aimer son
voisin, et transcender les différences, la religion est devenue de plus en plus
une pure idéologie, une arme de destruction. Le malheur a voulu que le diable
ait complètement submergé l’ange.
[17]-Le colonialisme, ce système politique d’expansion coloniale, occupant
et exploitant des pays dans l’intérêt du colonisateur, et rendant dépendants
les peuples colonisés a fait des ravages humains, culturels et socioéconomiques
dans les pays victimes.
[18]-Les politiques publiques des pays en développement, souvent décevantes,
mensongères et trompeuses, avaient ainsi ruiné leur peuple, leur pays, leur
économie.
[19]-Le proverbe romain « Si tu veux la paix, prépare la guerre », est
pris à la lettre par les grandes puissances de ce monde.
[20]-La circulation illégale et les transactions internationales de
l’argent sale et des gros capitaux douteux représentent plus du tiers du Produit
International Brut.
[21]-Nous avons la nette impression que les intérêts stratégiques,
géopolitiques et socioéconomiques des grandes puissances industrialisées
passent largement avant l’intérêt général de la planète.
[22]-Il est vrai que l’approche pluridisciplinaire apporte à la recherche
une valeur ajoutée indéniable.
[23]-L’opposition criante - entre ville et campagne, entre tradition et modernité,
entre quartiers huppés et zones marginalisées - est à l’origine de tous les
maux dans ce genre de pays.
[24]- Mais une chose est sûre on n’y revient pas pour sa politique.
[25]-Comment peut-on alors expliquer cette pauvreté, et par conséquent
l’émigration, dans un pays dont pourtant les atouts sont nombreux : les richesses
naturelles (phosphates, uranium, océans, forêts, soleil) ou semi-naturelles (agriculture,
tourisme) ou acquises justement par ceux qui ont émigrés (capitaux des RME) semblent
abondantes et en mesure sinon de stopper du moins de limiter le flux migratoire
?
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